Électernet

Trois personnes déposant un bulletin de vote, dans une urne affichée sur un écran.
Crédit image : pch.vector via Freepik.

Le vote en ligne est un sujet récurrent dans les débats en période d'élection.

Certains y voient une évolution naturelle de la démocratie, d'autres pensent qu'il s'agit d'une facilité d'accès au vote, ou encore qu'il s'agit d'un moyen de motiver une partie des non-votants à faire entendre leurs voix.


Concernant la praticité, c'est indéniable : pouvoir voter n'importe où et n'importe quand, sous réserve d'avoir accès à Internet, faciliterait grandement la démarche pour quiconque maîtrise l'outil informatique. C'est valide pour les votants comme pour les organisateurs, qui ne pourraient pas localement falsifier les votes et n'auraient plus à les compter manuellement à l'aide de scrutateurs bénévoles.

Je me vois déjà voter aux élections présidentielles en slip devant mon ordinateur, ou sur le trône avec mon téléphone. Pour gouverner, c'est adapté, non ?

Cela dit, j'ai bien précisé qu'il était nécessaire de maîtriser l'outil informatique, qu'il s'agisse d'un ordinateur ou de tout autre appareil. C'est une condition sine qua non pour utiliser un tel système, au même titre que pour payer ses impôts ou gérer son assurance maladie numériquement.

Est-ce donc vraiment pratique pour tout le monde ? Non, cette maîtrise fait parfois défaut chez les plus séniors d'entre nous, mais aussi chez les plus jeunes qui n'ont plus forcément la curiosité de savoir comment leurs outils fonctionnent.

Que ce soit un manque de volonté, de capacités, d'intérêt, de moyens… peu importe, il existe des tas de raisons pour lesquelles une personne souhaitant exprimer son choix ne sera pas forcément en mesure de le faire en ligne.

Notons aussi que beaucoup de personnes n'ont encore aujourd'hui pas la possibilité de se connecter à Internet. Nous sommes des privilégiés, moi à écrire ce billet et vous à le lire en ce moment, c'est une chose qu'il ne faut pas oublier.

Il existe aussi la possibilité de faire appel à un ami ou à un membre de sa famille, mais que fait-on lorsque ce n'est pas le cas ? Une personne seule peut avoir du mal à trouver de l'aide, par isolement ou par égo, alors qu'elle se débrouillerait très bien pour toutes les autres tâches physiques de la vie courante.

Le vote en ligne serait donc une avancée majeure pour les personnes invalides, occupées, fainéantes, enthousiastes… bref, beaucoup de monde. En revanche, s'il faut se baser sur ce seul critère, alors les urnes physiques ne pourront jamais totalement céder leur place aux urnes numériques.


Pour ce qui est de la sécurité, il s'agit là d'un sujet épineux autour duquel nous entendons tout et son contraire. Est-ce sécurisé ? Comme dans toute question un peu complexe, la réponse universelle s'applique : ça dépend.

La première chose à laquelle le grand public pense généralement, c'est la sécurité de la plateforme elle-même : vais-je me faire pirater mon compte ? Peut-on s'inscrire les yeux fermés ? Peut-on usurper mon identité ?

D'un point de vue purement technique, les services publics ont été en mesure de prouver leur capacité à mettre en place des plateformes sécurisées, à condition de bien en gérer le financement et le développement. Nous avons FranceConnect et FranceConnect+ par exemple, dont l'usage s'est plutôt bien démocratisé auprès des français pour leurs démarches en ligne.

Si une plateforme de vote électoral venait à voir le jour, elle dépendrait très certainement de ces services pour permettre aux citoyens d'y accéder et d'exercer leur devoir civique. Il n'y a donc pas de risques spécifiques liés au contrôle d'accès lui-même, déjà utilisé par d'autres services publics dématérialisés.

Vient ensuite s'ajouter le facteur humain, qui est à mon sens le maillon faible de la chaîne de sécurité. Par exemple, les arnaques par email ou SMS pullulent et ne sont pas prêtes de s'arrêter, car celles-ci fonctionnent toujours très bien.

Il s'agit majoritairement de hameçonnage : un tiers malicieux pousse sa victime à ouvrir un faux site usurpant l'identité de celui qui l'intéresse. La victime va alors se connecter sur ce faux site avec ses identifiants personnels, dès lors récupérés par le tiers qui pourra en disposer comme bon lui semblera.

Nous pouvons partiellement mitiger ces attaques grâce à l'authentification à double facteur, en recevant un code par SMS ou idéalement en le générant à l'aide d'une application spécialisée. Sans parler de la complexité d'utilisation, si le pirate n'a besoin de se connecter qu'une seule fois, il n'aura qu'à demander ce code à usage unique sur son faux site web pour arriver à ses fins.

Une autre mitigation plus efficace serait l'usage d'une clé de sécurité physique, potentiellement avec identification biométrique. Comme aucun profil de sécurité ne correspondrait au faux site web, il ne serait théoriquement pas possible de se connecter ailleurs que sur le site officiel avec ce dispositif.

Cette solution a cependant deux problèmes majeurs : son coût et sa complexité. Il s'agit là d'une méthode très onéreuse, vu que le matériel devrait être présent dans chaque foyer dont les membres souhaitent pouvoir voter depuis leur domicile. Si la compatibilité dudit matériel et sa configuration ne sont pas une mince affaire, son utilisation serait elle aussi un frein à son adoption globale.


Pour résumer rapidement, si nos élections doivent un jour se faire par Internet, il faudra soigneusement choisir un juste milieu entre accessibilité et sécurité. Notre système actuel, bien qu'assez archaïque, n'en est pas pour autant désuet.

Bon nombre d'élections ou autres types de votes ont d'ores et déjà lieu sur des plateformes spécialisées, mais leurs tailles ne sont pas comparables à celle d'une élection ayant lieu à l'échelle nationale. Les enjeux n'étant pas les mêmes, leur tolérance de risque est plus élevée. Par ailleurs, les votants sont généralement des utilisateurs de l'outil informatique confirmés dans les contextes d'entreprise.

Si la fraude est certainement possible dans le cas actuel, il s'agirait plutôt de manipulation des votes nécessitant la complicité de plusieurs représentants qui devraient garder le plus grand secret sur leur opération.

Dans le cadre d'une campagne de hameçonnage massif, elle pourrait être orchestrée par une personne ou un groupe totalement anonyme, impossible à poursuivre et arrêter. La balance des résultats pourrait significativement pencher en fonction du nombre de comptes récupérés suite à cette opération.

Si les erreurs de comptage ne surviendraient plus en délégant la tâche à la plateforme de vote, il reste supposé que celles-ci restent rares et s'équilibrent lorsque les scrutateurs humains s'en occupent. Elles n'ont alors que peu ou pas d'impact sur le nombre de suffrages exprimés pour chaque camp.


Bien que le vote à distance ne serait pas pour me déplaire, il faut rester lucide quant aux limitations et risques d'un tel système appliqué au niveau national.

Nos chères urnes transparentes ont par conséquent de beaux jours devant elles, bien qu'il ne soit pas exclu d'avoir un jour la possibilité de voter depuis chez soi. La première étape sera de mettre d'accord bon nombre de politiciens sur le système à adopter, nous avons donc largement le temps de nous y préparer.

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Date de dernière mise à jour : le 03 juillet 2023 à 15:00 (UTC).